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Maurice MAETERLINCK
15 juin 2008

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14 - ORLAMONDE 

(1930-1939)


Maquette_Orlamonde

Maquette de plâtre d'Orlamonde

Le 14 mai 1930, le Tribunal de Nice ordonne une vente en adjudication pour le château Castellamare, qui devait être le plus grand casino du monde dans les années 1923-1930, avec ses 30 077 m² environ et ses différentes constructions inachevées.
Ce palais Castellamare avait eu une histoire rocambolesque au point que l'on parlait alors de "l'affaire " du casino du cap de Nice. (Notes : Origines d'Orlamonde billet n° 28)

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Orlamonde vue d'avion

Un jour de 1930, Renée Maeterlinck dit : "Je rêvais longtemps de cette terrasse sur la mer, de cette terrasse toute nue que j’apercevais chaque fois que nous descendions à Nice. Un jour, une pancarte m’annonça qu’elle était à vendre. Je crois que le destin nous donne toujours ce que nous désirons le plus..." Maurice protesta, en parlant de la villa Les Abeilles où ils demeuraient : "Tout de même, vous avez déjà un jardin où poussent presque toutes les essences de la terre, n’est-ce pas suffisant ? " A quoi, elle rétorqua toute féminine : "Non, ce n’est pas suffisant. Je veux cette terrasse toute nue sur la mer parce que c’est celle de Mélisande." Renée veut à son tour, comme Georgette, sa concrétisation des châteaux imaginaires du poète.

Maurice Maeterlinck n’émettra pas longtemps des objections puisqu’il aime la mer. Il faut se souvenir qu’en 1906, alors qu’il cherchait une maison à Grasse et dans ses environs, il avait pu visiter à une dizaine de kilomètres de là, une propriété à Castellaras, isolée sur les hauteurs. Il ne l’avait pas retenue du fait de ses difficultés pour le ravitaillement, mais il aurait été "séduit par le miraculeux panorama". On y voyait la mer. Maeterlinck disait alors : "La mer est tout pour moi, une obsession ; je la crains, je la redoute… Quand je suis près de la mer, je ne songe plus qu’à elle… Je ne travaille déjà pas beaucoup ; la mer m’empêche tout à fait de travailler… Il vaut mieux que je ne la voie point."
Certes, il aimait la mer mais ne supportait pas les couchers de soleil sur la mer ou en montagne du temps de Georgette. Qu’étaient devenues ses inquiétudes, ses pressentiments, sa hantise de la mort ? Ne disait-il pas : "Je crois que les maladies, le sommeil et la mort sont des fêtes profondes, mystérieuses et incomprises de la chair."
Là, encore plus, les nuits de pleine lune dans cet immense palais il fera fermer les volets, tirer les rideaux. Il craignait toujours les mauvais sommeils, les mauvaises nuits, les noces du Clair et de l'Obscur. Il aura peur jusqu'à son dernier jour, du Jour éternel.

Lors de la vente en adjudication du 14 mai, le premier feu s’éteint puis les deux autres sans surenchère. Maurice Maeterlinck achète l’ensemble, par l’intermédiaire de Maître Gasiglia, notaire (Maire de son village et Conseiller Général), pour la somme de 2 851 000 francs. Mais cela serait trop simple, l’histoire veut que le poète ne prenne pas tout de suite possession de son achat et parte en Amérique pour une tournée de conférences. Pendant ce temps là, le notaire lui, part en voyage en emportant la caisse.

Après "l’affaire" du casino, c’est le "scandale" de Castellamare.

Maurice Maeterlinck, rentré des U.S.A.., va directement à sa villa "Les Abeilles", avenue des Baumettes. Et au cours d’un déjeuner, lui qui a horreur d’être dérangé, voit débarquer un notaire qui a pris la succession du précédent notaire indélicat, voyageur par surcroît. Il lui raconte toute l’histoire. Il lui sera répondu : "eh bien payez ! "
Il semble néanmoins que Maurice, d’Amérique, ait envoyé des avances indispensables, ce qui lui permit de dire plus tard aux visiteurs en faisant le tour de sa propriété : "cette maison, je l’ai payée deux fois."

Le couple Maeterlinck espère pouvoir s'y installer fin janvier 1931. Maurice écrit de Nice le 12 décembre 1930 en envoyant une photo du lieu à son ami H. Russell "C'est fantastique". Il a la mer devant lui, il va pouvoir en profiter. Au pied de cette immense bâtisse il y a une plage pour sa baignade personnelle et une petite barque à moteur amarrée, prête à tous les voyages.

Que reste-t-il à faire pour que le Palais Castellamare soit habitable ? D’après Monsieur Borie, le gros œuvre du bâtiment principal est terminé, il ne reste plus que les finitions et la décoration à faire ; la terrasse plantée de cyprès est faite, la salle de théâtre aux colonnes est recouverte d’une dalle de béton, et l’ossature en béton de la scène est coulée. Pour les autres, nous savons que la galerie aux arches donnant vers la mer est couverte par une dalle de béton, mais il semble que pour le bâtiment d’entrée il n’y a pas eu grand chose de fait. Restent éparpillés sur le chantier, les marbres (pour un million de francs de 1928) et les ornements en staff pour le plafond du théâtre.
Maurice Maeterlinck n’aura que très peu de travaux à commander.

Maurice Maeterlinck veut baptiser l’endroit "L’Oiseau Bleu" (il a toujours aimé cette couleur bleue qui fait partie de son existence). Renée Maeterlinck, son épouse, préfère "Orlamonde" car elle a trouvé sur place une énorme et lourde clé dans les gravats, qui lui fait penser à la clé de Barbe-Bleue.
Ce mot a été inventé par le poète, il figure dans "Ariane et Barbe-Bleue", et se trouve être le nom d’une des "Douze Chansons".

Les Sept Filles d'Orlamonde

 

Quand la fée fut morte,
Les sept filles d'Orlamonde cherchèrent les portes,
Ont allumé leurs sept lampes,
Ont ouvert les tours,
Ont ouvert 400 salles sans trouver le jour,
Arrivent aux grottes sonores,
Descendent alors et sur une porte close,
Trouvent une clé d'or,
Voient l'océan entre les fentes,
Ont peur de mourir et frappent à la porte close
Sans oser l'ouvrir.

D’où vient ce nom, il se peut que ce soit une déformation de "hors le monde" ou, comme le suggère Alex Pasquier, une réminiscence du nom d’un seigneur danois du XIII° siècle qui s’appelait Orlamünde, tout comme un village allemand où fut prêchée la révolte des paysans au temps de Luther.

"Orlamonde n'a rien d'une architecture d'habitation, correspondant fidèlement à des besoins humains, fussent-ils luxueux et divers. Dès le départ c'est une architecture de salles de jeux. Il n'est pas indifférent alors que les Maeterlinck l'aient élue comme salle de jeu. Cadre d'un jeu grandiloquent et théâtral, mis continuellement en scène par Madame autour de Maeterlinck et pour lui. Orlamonde a de ce point de vue une décoration indifférente et conventionnelle, des archétypes d'éléments d'architecture comme dans un catalogue abstrait et pédagogique : l'arcade, la fenêtre, la colonnade, la grande galerie, plutôt que des éléments employés comme à l'ordinaire dans toute maison c'est-à-dire apprivoisés. Ici : salles (trop grandes), colonnes indifférentes, plafonds à caissons, c'est-à-dire muets, ou à fresques aux sujets indifférents, médiocres et plats. Madame Maeterlinck avait très bien senti l'atmosphère de ce lieu qui ne pouvait que devenir leur maison-mausolée où l'on pouvait s'embaumer vivant avant de s'y faire conserver en souvenir, en cendres. Au sens étymologique, un monument (ce qui porte le souvenir). Le terme mausolée convient aussi avec Renée dans le rôle de la reine Artémise et Maurice dans le rôle du roi Mausole. Orlamonde convenait comme site, avec la mer et les jardins, à Pelléas de manière troublante, ce que Renée a très intelligemment résumé en disant : "Il faut l'acheter parce que c'est la terrasse de Mélisande". Mais la villa s'y prêtait aussi par son échelle gigantesque qui convenait bien à l'ego délirant de Maeterlinck et au drame final qui ne pouvait se dérouler ailleurs. C'était une maison doublement prédestinée, une fois parce qu'elle avait été conçue pour Maeterlinck avant que celui-ci n'ait l'occasion de l'acquérir, ce qui peut sembler troublant : elle attendait que son destin pût enfin s'accomplir en le couple ; une seconde fois parce qu'elle allait devenir le futur mausolée que Maeterlinck ne pouvait que pressentir, dûment momifié vivant par sa seconde femme qui n'existait qu'en lui renvoyant son propre reflet.
Par ailleurs, Orlamonde présentait un avantage par rapport à d'autres maisons comme Médan ou Saint-Wandrille : c'est la neutralité stylistique. Saint-Wandrille était un cadre qui allait très bien à Georgette, référence au passé par le style en partie médiéval en partie Louis XV (référence à un théâtre qui n'était pas seulement celui de Maeterlinck). Médan présentait aussi cette présence du style de demeure, cette altérité qui se confrontait au personnage de Maeterlinck.
Orlamonde, avec un décor gigantesque et neutre, laissait un vide de genre, d'expression qui permettait à Maeterlinck de le remplir de sa présence et qui convenait idéalement à un archétype de Palais-Mausolée. C'est un peu, toute proportion gardée, Versailles qui n'était rien, préféré et crée par Louis XIV au détriment de St Germain ou du Louvre, qui existaient avant lui. Il faut bien dire qu'Orlamonde n'avait jamais eu d'existence véritable avant Maeterlinck, comme elle ne parvint plus à en retrouver par la suite." (Michel Steve)

***

En 1931 Maurice Maeterlinck demande un permis de construire pour améliorer Orlamonde
Renée et Maurice terminent la décoration. Dès novembre 1933 paraît un article dans "Art et Médecine" ainsi que des photos de Kertesz sur Orlamonde, puis un journaliste de L’Illustration fait un reportage sur ce gigantesque palais de marbre en juin 1937.
L’entrée au portail discret (une plaque gravée et une grille peinte) s’ouvre sur une allée qui descend en tournant pour devenir une longue ligne droite bordée de cyprès plantés par le poète.

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Arrivée à Orlamonde

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Plan du rez-de-chaussée de la villa Orlamonde que j'ai pu reconstituer

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Orlamonde_Hall_r_ception_avec_grille

Salle_de_R_ception_a

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Salle de Réception

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Niche dans la grande Salle de Réception

Grille_Orlamonde

On découvre alors le palais aux 52 portes et aux 196 fenêtres.
Une grosse porte de bois donne sur l'entrée et passé deux marches permet d’accéder à une immense "Salle de Réception" hall de 200 m², l’ancien foyer du théâtre, éclairée par des impostes qui la ceinturent au ras du plafond à caissons. Face à nous au fond, une immense porte de fer forgé vitrée et, dans notre dos un magnifique escalier en granito, traité de façon à s’identifier avec du porphyre rouge sombre. Les murs de gauche sont tapissés de marbre, de même à droite directement face à la porte d'entrée, des arcades qui appartiennent à la loggia intérieure devenue la "Galerie de Marbre", avec au sol, en damier, du marbre encore. Cette galerie qui traverse toute la longueur de la demeure, parallèle au grand foyer, dessert toutes les pièces de ce niveau ; il suffit de pousser les portes en fer forgé.

Galerie_de_marbre

Galerie de marbre

En premier, un salon est devenu le "Cabinet de travail" de l’auteur, sobre où les bibliothèques tapissent les murs ;

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Bureau_de_maeterlinck

Orlamonde_bureau_de_MM

puis un autre "Petit Salon".

Nous trouvons ensuite le salon aux quatre colonnes toscanes de marbre blanc veiné de vert appelé "Salon Violet", couleur du tissu des fauteuils, qui occupe en fait le corps central du bâtiment, et qui est projeté en une avancée, avec vue au sud, sur cette terrasse aux cyprès plantés en 1924, qui surplombe de 30 mètres la mer.

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Salon_Violet_Orlamonde

Salon_violet

Salon Violet photographié du vivant de la Comtesse Renée Maeterlinck

Toujours en allant vers l’est, passé l’un des portiques à colonnes, un autre salon est devenu "La Salle à Manger" avec une table grandiose en marbre blanc veiné avec ses dessertes assorties. Autour de cette table, des fauteuils recouverts de cuir d’Espagne frappé aux armes de Comte Maeterlinck.

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Photo de la Salle à Manger prise du temps de la Comtesse Renée Maeterlinck

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Pour terminer, un "Petit Salon blanc" plus intime avec une cheminée en angle, donnant sur la terrasse aux cyprès au sud, et vers l’est sur ce fameux théâtre où s’étirent deux longs miroirs d’eau, dans lesquels au gré des va et vient des poissons rouges se déforme l’image des colonnes ioniques et des vols des pigeons paons, des colombes, qui ont envahi ce lieu. Tout autour, des pots où poussent les daturas tant aimés du poète.

Fumoir_a

Fumoir_b

Fumoir_c

Fumoir du temps de M. Maeterlinck

Au premier étage, après avoir gravi l’escalier, nous trouvons en parallèle à la "galerie de marbre", une galerie avec en son centre une grande baie intérieure donnant à gauche sur l’immense salle du rez-de-chaussée.

La toute première pièce sur notre droite est la "Salle de Bains" de Renée Maeterlinck avec la baignoire en onyx massif pesant 1200 kg, le lavabo de marbre et la robinetterie à tête de dauphin. La seconde est la "Chambre à Coucher de la Comtesse".

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Salle_de_Bains

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Chambre de Renée Maeterlinck donnant à l'Ouest

Puis face à la baie intérieure précédemment citée, le "Grand Salon" avec au centre du plafond une peinture délicate où flottent dans les nues six personnages ; au sol : un parquet. Nous trouvons une grande table de marbre et de nombreux fauteuils, encore deux colonnes de marbre donnant sur une loggia aux neuf fenêtres, avec au plafond des décors or et bleu.

Vue_du_salon_1er

Plafond_1er

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Toujours en allant vers l’est, la "Chambre de Maurice Maeterlinck" et la "Salle de Bains" dont les fenêtres donnent sur le jardin d’hiver aux colonnes.

Chambre_de_maeterlinck

Chambre de Maurice Maeterlinck donnant à l'Est

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Salon attenant à la chambre de Maurice Maeterlinck

Maurice Maeterlinck aimait s’attarder là pour observer ses pigeons, dont certains venaient nicher sur le rebord même de ses fenêtres. Il écrira sur eux quelques pages, mais ne put faire le même travail qu’auparavant il avait fait sur les abeilles ou sur les fourmis.
Le jardinier plus d’une fois dira : "Vous avez vu les pigeons ? Ces bestioles envahissent tout. Bientôt il n’y aura plus un coin de pierre qui ne soit sali et rongé par leur fiente... Et allez donc nettoyer à ces hauteurs !"
André Maurois a raconté que lorsqu'il vint à Orlamonde la pièce où il déjeunait, était peuplée de colombes en liberté.

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Terrasse_aux_bassins

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Terrasse à 2 bassins sur laquelle donnait la chambre de M. Maeterlinck

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Il existe également une aile réservée aux domestiques.

Au pied de ce palais un jardin sur cette terrasse qui surplombe la mer, planté de cyprès avec en son centre un bassin circulaire.

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Sélysette (Renée Maeterlinck) plante sur ce vaste domaine sept cèdres, chacun d’eux abritant l’une des sept filles de la fée Orlamonde. Dans ce jardin où se mêleront les senteurs des rosiers, des jasmins, des bougainvillées, des daturas d’Egypte, et sous les vols incessants des pigeons paons, Maurice se promènera avec Virginie, sa colombe aveugle qui vivait sur son épaule ou sur le bureau du maître.

Maurice Maeterlinck aime la Côte au point d’écrire : "Je ne redirai pas, après tant d’autres, les beautés sans nombre de la "Côte d’Azur". Quand on a quelque peu voyagé, on est bien obligé de reconnaître que le département des Alpes Maritimes tout entier est l’un des coins les plus féeriques de notre planète ... Et le grand miracle, c’est que ce miraculeux paradis ne se trouve qu’à quelque douze heures de chemin de fer de Paris. Les trois mois que j’ai passés là-bas (Etats Unis), mieux que vingt années de séjour au milieu d’elles, m’ont ouvert les yeux sur les splendeurs et les délices de nos rives méditerranéennes. Ici tout se ramasse autour d’une journée pour le plaisir des yeux : soleil, flots d’azur, horizons de cristal, terres multicolores, arbres du Nord et du Midi, du dattier au mélèze, gorges profondes, forêts crépusculaires, jardins éblouissants ; et quelques heures suffisent pour monter du fond de Nice qui flamboie en juillet dans sa coupe de saphir et d’argent, aux neiges éternelles qui avoisinent la Madone de Fenêtre et les cascades du Boréon tandis que se déroulent sous nos yeux les merveilles de la mer, de la plaine féconde, des vallées qui s’élèvent et des hautes montagnes. "Préface "Au Gai Royaume de l'Azur" de P. Devoluy et P. Borel.

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En 1931 paraissent les "Souvenirs" de Georgette Leblanc, écrits dans le vieux phare désaffecté de Tancarville, loué pour la somme de 400 francs par an. (Manuscrit écrit au crayon, la plume n’étant réservée "que pour les lettres de cérémonies."
En plus de la curiosité, ce livre suscite des éloges. Edmond Spalikowski dans la Dépêche de Rouen trouve en Georgette une "Rouennaise qui a su se créer une renommée sur la scène, comme son frère Maurice a édifié de toutes pièces la sienne par le roman." Albert Thibaudet puis Pierre Descaves dans L’Avenir du 23 mars écrit : " Rien d’aussi beau ni d’aussi fort n’a été écrit depuis longtemps." Roger Karl, oubliant tout du passé mentionne dans son Journal : "Je ne puis lire sans révolte le livre de souvenirs que Georgette L. vient de publier pour se venger de l’abandon de son mari. Je sais trop combien il est rempli de mensonges en ce qui concerne le temps où je l’ai connue."
L’éditeur Fasquelle tente de réconcilier Georgette et Maurice, mais ce dernier refuse : "Je n’ai pas l’âme chrétienne à ce point. Quand on me frappe sur une joue je ne tends pas l’autre. Je cogne, au contraire..." Il n’a pas aimé la publication de certaines de ses lettres, à moins que ce ne soit Renée qui n'ait pas apprécié.
Aux propos de Georgette…
"Pendant toute la durée de notre vie commune, je respectais la liberté de mon compagnon. Il fut libre..." il répliquera …. en précisant qu’elle a eu autant d’amants qu’il y a d’étoiles dans le ciel. Dans une lettre à Harry Gérard, Maeterlicnk ira plus loin : "Celle qu’elle accuse de duplicité et autour de laquelle elle tente de créer une atmosphère de vulgarité et d’intrigues connaissait depuis longtemps le mensonge dans lequel je vivais."

Maurice Maeterlinck trouvait au livre un "genre concierge". Mais il craignait surtout que son ménage à trois pendant sept ans fût étalé au grand jour, ce qui eût pu nuire à la vente de ses livres et à sa notoriété auprès des autorités belges : il savait qu’il allait recevoir le titre de comte. Sa vie privée à trois à Bruxelles avec Laurence Alma-Tadema ou à Saint-Wandrille, suscitant les remarques de Stanislavski, pouvait bien supporter la publication des "Souvenirs". Plusieurs fois Maeterlinck menaça Grasset. Il qualifiait Georgette, au moment de leur rencontre, de bourgeoise de province à peu près illettrée. Peut-être préférait-il la culture affectée de Renée, qui disait à René Béhaine lors d’un entretien : "Cher Monsieur, Vous m’amusez beaucoup parce que vous me rappelez un souvenir qui m’a beaucoup offensée, j’avais 15 ans et Maeterlinck me dit : "Vous lisez ma petite fille" - "Oh ! oui en ce moment je lis un livre que je ne comprends pas tout à fait…" - "Qu'est-ce-que c'est ?" - "La Critique de la raison pure…, il m'a répondu simplement" - "Laissez-le, je n'y ai jamais rien compris moi-même." – "J'étais très offensée ! "(Interview filmée Docteur Ducoeur) Preuve s'il en est qu'elle avait effectivement connu Maeterlinck avant 1911.

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Fin de la longue préface de B. Grasset

Les "Souvenirs" furent précédés d’une longue préface de Bernard Grasset qui réfutait les arguments du livre et qui avait été insérée sans l’accord de Georgette. En réaction à ce procédé malhonnête, Georgette voulut poursuivre l’éditeur en justice et essaya vainement de se faire aider par son avocat, maître Moro-Giafferi.

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Exemplaire des Souvenirs annoté par  G. Leblanc - Bibliothèque Notari à Monaco

Dans son livre Georgette dépeignait de la meilleure façon Maurice Maeterlinck : "Ceux qui connaissent M.M. sont heureusement surpris par l’harmonie absolue qui règne entre ses œuvres et sa vie." A cela Franz Hellens ajoute " son caractère".

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Lettre de Georgette Leblanc

Au phare de Tancarville, où elle était partie se réfugier, Georgette, accompagnée de Margaret Anderson et Mathilde Serrure, reçut la visite de nombreuses personnalités : Bel-Gazou la fille de Colette, Jean Cocteau, Dorothy Caruso la veuve du ténor, Hémingway, Joyce, Gurdjieff, Pirandello, Gertrude Stein, Tristan Tzara.

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Photos de G. Leblanc prises à Tancarville

Cette année-là, grâce au convoyage de son ami fidèle Gérard Harry, Maurice Maeterlinck fit venir de Belgique au château de Médan "sept princesses de cristal". Ces princesses aux charmes douteux n’étaient autres que sept grosses araignées aquatiques de la famille des argyronètes. Maurice Maeterlinck se rappelait qu'à l'âge de sept ou huit ans son grand-père lui avait montré jadis une de ces araignées, assez abondantes dans les eaux des environs de Gand. Elevées dans un bassin récemment aménagé au bout de la grande aile du château, elles devinrent l’objet de ses études. Il put noter avec quelle stupéfiante dextérité elles se confectionnaient un petit scaphandre de soie pour vivre au fond des ruisseaux. De loin en loin elles remontaient à la surface pour renouveler leur provision d’air en fixant aux poils de leurs pattes de petites bulles puis elles redescendaient en hâte pour se mettre à l’affût sous leur cloche. La première documentation lui fut fournie par Harry grâce aux fiches de l’institut de bibliographie Paul Otlet.

De ces observations naîtra "L’Araignée de Verre" (parution en 1932), comprenant le texte "En Sicile et en Calabre" écrit en 1927 devenu "Sicelides Musae" et "En Egypte" notes de voyages écrites en 1928 qui prend le titre "Le Royaume des Morts".

Sans doute pour rééditer l’exploit de la représentation à Saint-Wandrille de "Macbeth" et de "Pelléas et Mélisande", dont les premiers rôles avaient été tenus par Georgette Leblanc, Renée Maeterlinck souhaitait disposer d’une scène de théâtre dans le château de Médan. On fit donc aménager une scène de théâtre dans une nouvelle construction au rez-de-chaussée. Cette modification fut réalisée en 1931 et quelques mois plus tard "L’Oiseau Bleu" y aurait été joué par la comtesse elle-même.

***

Lors d’un séjour sur la Côte d’Azur en 1932, les Maeterlinck sont invités chez les Gould qui veulent présenter Charlie Chaplin au maître. Sont présents à ce déjeuner Henri Cain, auteur de tous les livrets d’opéra de cette époque, Henry Thorrès et le peintre Jean-Gabriel Domergue. Mais lorsqu’un jour, où la milliardaire Florence Gould, reçue pour la première fois chez la comtesse, se permit de lui donner du "chère Sélysette", la comtesse lui "fit nettement comprendre que toutes deux n’avaient pas gardé ensemble les elfes et les farfadets, et cette rencontre entre les deux femmes fut aussi la dernière."

Amie des Maeterlinck, Consuelo Suncin de Sandoval veuve de Gomez Carillo, journaliste et consul d’Argentine à Paris, arrive à Nice en mars avec Antoine de St Exupéry. Ils logent dans la villa de Consuelo au bas de ce qui est aujourd’hui l’avenue de Brancolar. Elle veut présenter Antoine à ses amis. "Ecoutez, lui dit-elle, si Maeterlinck vous accepte, je vous épouse ! " "Alors, allons le voir tout de suite ! " Sans prévenir Maeterlinck qui n’aimait pas les têtes nouvelles, ils débarquèrent chez lui. Le ménage les accueillit royalement, mais le repas terminé Maeterlinck dit : "Ah, elle vous appelle Tonio ? Alors je vous appellerai Tonio. Venez avec moi, Tonio, nous allons chercher une bonne bouteille à la cave, on n’a pas assez bu."
Les deux hommes restèrent longtemps à discuter. De retour les bras chargés de plusieurs bouteilles, Maeterlinck dit à Consuello : "Tu es folle si tu n’épouses pas ce garçon, c’est un homme, il sera le plus grand écrivain de France ! " Selon d’autres sources ce sera : "Vraiment, c’est l’homme qu’il te faut. Je suis heureux que tu aies rencontré ce garçon." Le lendemain Saint-Exupéry se rendait sous les arcades place Masséna pour acheter une bague de fiançailles.
Saint-Exupéry, dédicace de "Pilote de guerre" : "En souvenir d'une amitié profonde et fidèle et avec ma reconnaissance presque religieuse pour Maurice Maeterlinck, qui ignore combien je lui dois. Toute mon enfance a été éclairée par lui, ma mère nous ayant lu toute son œuvre, choisie parmi toutes les autres, pour éveiller ses enfants à la musique et au poème. Elle s'est servie de lui, comme d'un magicien, durant des années, pour essayer de nous embellir."

En 1932 se préparent les honneurs qui seront octroyés en 1933 à Maurice Maeterlinck. Par un arrêté royal il va recevoir le titre de Comte.
De Royat le 21 juin 1932 il écrit à Cyriel Buysse :
"Entre nous je ne tiens pas du tout à être comte ! Mais je ne vois pas le moyen de refuser sans une sorte de goujaterie."

***

En 1933 est écrite "La Grande Loi". Livre dans lequel il traite de "La Gravitation Universelle", de "La Rotation Universelle", des "Naines Blanches", de "L'Ether", d' "Einstein", de "La Dilatation de l'Univers", des "Mathématiques".

L’année de ses soixante-dix ans, Maurice Maeterlinck est fait Grand Officier de la Légion d’Honneur par la France, et la Belgique lui octroie le titre de Comte, qu’il accepte. Par la suite le titre serait devenu caduc du fait de la non-levée des lettres patentes.

De Médan, le 14 avril 1933 il informe Russell que Golding Bright lui a écrit pour lui demander l’autorisation de représenter “La Puissance des Morts” par Melnotte, et précise : "en me demandant de l’allonger de façon à remplir la soirée. Je lui ai fait répondre que c’était impossible, mes pièces n’étant pas du caoutchouc."

***

MM___Pirandello

En 1934, au cours d’un voyage à Rome, Maurice Maeterlinck rencontre Luigi Pirandello. Cette année là naît "Avant Le Grand Silence" succession de notes sur la vie, la mort.
"La clef de tous les malheurs des peuples c'est leur stupidité. Toutes les explications politiques ou économiques ne sont que des ornements littéraires autour de cette stupidité foncière, à peu près incurable et qui ne s'est pas sensiblement amendée depuis les temps historiques."
"En naissant, nous nous acheminons vers une mort personnelle. En mourant, nous entrons dans une vie éternelle qui ne nous appartient plus."

C’est aussi l’année où il s’installe à Orlamonde, et où il écrit "Princesse Isabelle" pièce en vingt tableaux qui paraîtra en 1935 avec pour dédicace à Renée : "A Maleine, à Mélisande, à Sélysette, à Isabelle, à toutes, c’est-à-dire à Toi."
Cette pièce sera jouée le 8 octobre au Théâtre de la Renaissance dirigé par Cora Laparcerie. Renée copiant sa rivale passée, se devra d'interpréter le rôle principal de la Princesse Isabelle avec la "sensibilité et la grâce enfantine la plus exquise." On ne pouvait guère dire autre chose, le talent de Renée étant loin d’égaler celui de Georgette. Ce drame quittera l'affiche après quelques jours et n'y reparut plus malgré la critique enthousiaste de Léon Daudet pour qui la pièce était le summum du génie, de l'art de Maeterlinck et qui surtout était "la révélation d'une grande comédienne, laquelle n'est autre que Madame R. Maeterlinck. L'auteur […] a trouvé l'interprète complète de sa pensée et de son rêve, celle qui anime son œuvre immense, et qui n'est autre que sa propre femme. Il était digne d'un pareil bonheur." L'amour y guérissait les phantasmes des imaginations trop ardentes. Renée à nouveau marchera sur les traces de Georgette en jouant "Pelléas et Mélisande" le 9 avril 1935 à Bruxelles.

Selon Philippe Roy, antiquaire et ami des Maeterlinck, des réceptions féeriques étaient offertes à Orlamonde par Maurice Maeterlinck. Ces dîners étaient roses, bleus, blancs, des toilettes des convives à la décoration, des mets à la livrée du maître d’hôtel.

Mme Bine-Muller, journaliste, écrit : "Les dîners d’Orlamonde avaient institué un rite. On y préférait le merveilleux à la réalité. Le caractère intempestif et fou de la fête prochaine réclamait une harmonie. Généralement une monochromie de rigueur, soit dans les roses, les bleus ou les blancs. Le carton d’invitation arrivait à propos afin que les officiants aient le temps de consulter leurs couturiers. L’élégance ne résidait pas dans le clinquant, il ne s’agissait pas d’épater mais d’accomplir une fusion nonchalante de modèles rares. C’est là que s’affirmait la force de cette mélodie à la fois ordonnée et déraisonnable qui consacrait le suc splendide de l’élégance.
En ces soirs, les colonnes de marbre se réchauffaient à des froufroutements de dentelles et de taffetas. Robes longues en gazar d’Abraham, corsages ajustés aux décolletés arrondis et aux manches terminées par un volant en corolle et, aussi, des jupes évasées, à trois étages, ceintes d’un ruban de satin. C’est alors que la lueur des flambeaux jetait un arc-en-ciel sur une fluidité de corsages nervurés, révélant l’ardeur magique des regards.
Quant aux mets présentés, une longue préparation leur avait imprimé des enjolivures effrénées. Fuir le vérisme, contrarier la nature première afin d’afficher un baroque délirant, tels étaient les mots d’ordre présidant à cette cérémonie. Volailles et crustacés subissaient de longs maquillages afin de gommer leur aspect brutal. Le chef s’employait donc à geler les surfaces et à enfouir le solide sous un sédiment lisse et glacé. Des artifices de présentation qui paraissent aujourd’hui saugrenus par leur appartenance à une imagerie culinaire pour noces et banquets. Plats montés, triomphe du nappage, tomates et citrons ouvragés, une cuisine du regard affirmant la suprématie de garnitures vernissées.
Mais, c’est principalement dans le sucré que cet art de la déviation trouvait son épanouissement. Orchidées et roses macérées de coulis, champignons meringués occultant de blondes génoises. Fondants irrésistibles annonçant des parfaits angéliques. Une gélatine rosâtre qui serait contrariée par les sorbets de Vogade restituant l’intégrité des papilles.
Un peu plus tard, on éteignait les torchères et le confiseur Auer, escorté de ses apprentis, pénétrait dans la salle en apportant des omelettes norvégiennes, un dernier artifice qui alliait miraculeusement le givre et le feu."
(Vogade et Auer sont deux très grands pâtissiers, bien connus des Niçois)

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En 1936, Maurice écrit "Le Sablier", dans lequel il aborde plus directement la métaphysique mais aussi et toujours la mort.
"La mort peut devenir un sujet de méditation si intéressant qu'on s'ennuie quand on n'y pense plus." mais aussi "C'est en cessant de vivre que nous cessons de mourir."
"L’Ombre des Ailes" est publiée chez son éditeur parisien Fasquelle.
Il est élu à l’Académie des Sciences Morales et Politiques le 27 juin 1936. Le livre "Devant Dieu" paraît la même année. Dans une dédicace d’un exemplaire à Maurevert on trouve ces lignes : "Je crois que le livre n’est pas encore aussi complètement gâteux qu’on l’espérait."

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Le 13 mars 1937 Maurice Maeterlinck est membre associé étranger de l'Académie Française.
L'été il séjourne au Royat-Palace pour suivre sa cure.
Renée Maeterlinck joue le rôle de Mélisande en 1938. La pièce "Pelléas et Mélisande" est alors reprise au Palais de la Méditerranée par Marcel Sablon.

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Renée Maeterlinck joue pour la troisième fois, à 49 ans, "Pelléas et Mélisande" le 28 janvier 1939 au théâtre de L’Odéon pour dix représentations. "Elle connut ainsi son apogée, applaudie par un Maeterlinck de 77 ans." dit Benoit-Jeannin.

Maurice Maeterlinck publie "La Grande Porte" (1939) où, sous forme de courts chapitres, parfois de simples paragraphes, le penseur s’interroge et interroge les religions. "Nous sommes tous en attente devant cette porte qui ne sépare pas seulement la vie de la mort, mais encore le passé de l’avenir, le connu de l’inconnu et l’homme de Dieu."
"On me maudit, on m'excommunie parce que je me permets de souligner certaines inconséquences, certaines contradictions, certains ridicules, certaines anomalies difficilement défendables (l'enfer, la responsabilité des anges et de l'homme, etc.) du Dieu que l'Eglise nous impose. Au lieu de me frapper d'anathème, ne serait-il point préférable, je ne dis pas de me canoniser dès aujourd'hui, mais de me féliciter ? Le Dieu que je cherche et que j'entrevois par moments, est plus haut, plus puissant, plus parfait, parce que je le pense et l'aime plus profondément que le Dieu qu'ils croient avoir trouvé sans le chercher. Il faut d'abord qu'on mérite son Dieu."
"Dieu ne saurait être juste qu'en rendant également heureux tout ce qu'il créa ou plutôt tout ce qui vit en lui. Pourquoi ne le fait-il pas ? Est-il plus difficile de créer le bonheur que le malheur ? "
Contre cette porte il a meurtri ses mots et ses pensées. Il ne souscrit à aucune religion, si ce n’est celle de l’homme intérieur.
Il ne peut, comme Saint Augustin, se décider à croire sans preuve, mais il ne repousse rien tant il est préparé à l’humilité de l’intelligence, dont il sait bien, ce grand glorificateur de l’Inconnaissable, qu’elle n’est pas le plus sûr et le plus précieux des trésors de l’esprit.
Son livre est une grande protestation, un grand refus. Les "j’aurais préféré ne pas naître" et les "il eût été si simple de ne rien créer", reviennent à intervalles assez rapprochés sous formes variées mais toutes expressives, entre des pensées de souriante et calme résignation.

Renée est ravie : le 1er septembre 1939, la villa Orlamonde est enfin terminée comme elle le souhaitait, pour y être le théâtre de leur vie. Georgette avait vécu dans un cadre prestigieux à Saint-Wandrille. Pour elle, ce sera Orlamonde.

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Commentaires
L
Cocteau avait 4 ans en 1893. Quelle précocité pour conseiller Debussy !
Maurice MAETERLINCK
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