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Maurice MAETERLINCK
26 décembre 2008

7

2 - L'APRENTISSAGE DE LA CELEBRITE
(1889-1891)

En 1889, "La Princesse Maleine"  drame en cinq actes, "cauchemar dialogué", paraît en trente exemplaires brochés, financé par sa mère (250 francs) en truquant discrètement les comptes du ménage. Cela, dans l’atelier du même ami Van Melle, sur une presse à bras dont lui-même tourne la roue. La seconde édition, cent cinquante exemplaires, n'est mise en vente que vers le 1er mai 1890. Une troisième édition est produite chez Lacomblez en septembre. "Princesse Maleine" est un drame où l’on a voulu voir, à tort, une imitation de Shakespeare. Il ne se "contentait pas de provoquer un frisson nouveau à l'aide de procédés inusités et parfois puérils ; il témoignait par instants d'un réalisme vigoureux, tout palpitant de vie, d'une intuition pénétrante des profondeurs ténébreuses de l'âme, ainsi que des forces mystérieuses et fatales qui y règnent toutes puissantes. Déjà se posait, du moins implicitement, le problème qui, par delà les agitations des corps et des âmes, allait de plus en plus dominer la pensée de Maeterlinck : d'où venons-nous ? Où allons-nous ? Et cet autre problème relatif à notre destinée intime et actuelle : quelles sont les forces qui nous mènent, par delà ou en deçà notre conscience et notre volonté ? " C. Hertrich Ce drame fut joué pour la première fois au cours d’une émission radiophonique en 1935. Dans les "Bulles Bleues" Maeterlinck précisera : "elle n’a pas vu la scène ni les mensonges du cinéma ? La voilà toujours vierge et même vierge un peu mûre. Afin de m’en consoler, je suppose qu’elle attend ma mort…"

Un exemplaire offert à Mallarmé fut prêté par l’intermédiaire de Hervieu à Octave Mirbeau.

mirbeau

Octave Mirbeau

Cet écrivain était assez curieux pour lire cette œuvre, assez épris des novateurs et assez clairvoyant pour l’apprécier, et surtout assez courageux pour faire part de son enthousiasme en public, si l’on songe à la routine d’esprit contre laquelle il lui fallait lutter. Ce fut l’article qu’il écrivit à ce sujet dans Le Figaro du dimanche 24 août 1890 qui rendit célèbre Maurice Maeterlinck du jour au lendemain :

 

"Je ne sais rien de M. Maeterlinck. Je ne sais d’où il est et comment il est. S’il est vieux ou jeune, riche ou pauvre, je ne le sais. Je sais seulement qu’aucun homme n’est plus inconnu que lui ; et je sais aussi qu’il a fait un chef-d'œuvre, non pas un chef-d'œuvre étiqueté "chef-d'œuvre" à l’avance, comme en publient tous les jours nos jeunes maîtres, chantés sur tous les tons de la glapissante lyre - ou plutôt de la glapissante flûte contemporaine ; mais un admirable et pur et éternel chef-d'œuvre, un chef-d'œuvre qui suffit à immortaliser un nom et à faire bénir ce nom par tous les affamés du beau et du grand ; un chef-d'œuvre comme les artistes honnêtes et tourmentés, parfois, aux heures d’enthousiasme, ont rêvé d’en écrire un et comme ils n’en ont écrit aucun jusqu’ici. Enfin, M. Maeterlinck nous a donné l'œuvre la plus géniale de ce temps et la plus extraordinaire, et la plus naïve aussi, comparable - et oserai-je le dire ? - supérieure en beauté à ce qu’il y a de plus beau dans Shakespeare. Cette œuvre s’appelle "La Princesse Maleine".  Existe-t-il dans le monde vingt personnes qui la connaissent ? J’en doute..."


lE_FIGARO

 

Mirbeau cachait habilement la nationalité de l’auteur : être belge était à l’époque suspect en France, à cause de la "politique congolaise" et des opinions dites "pro-allemandes" de Léopold II. Les écrivains belges avaient mauvaise presse : "ils pillent, démarquent, détroussent…", "ce sont nos pires ennemis."

 

Il existe une autre version des faits racontée par Sacha Guitry ; est-elle authentique ? La voici : passant la soirée chez des amis, le célèbre critique Mirbeau s’était installé sur un divan aménagé en coin-bibliothèque, il semblait mal à l’aise, tournant la tête à droite, à gauche. La maîtresse de maison s’en inquiéta. "Il y a un livre qui dépasse de la rangée, dit Mirbeau, et qui me gêne. Voudriez vous l’enlever ? " L’ouvrage déposé sur le divan, il ne put s’empêcher d’y jeter un coup d'œil : "De qui est cette œuvre ? " "D’un jeune écrivain inconnu qui nous l’a envoyée en hommage" lui fut-il répondu. Mirbeau jeta un bref mot d’excuse à ses hôtes, prit le livre, s’y plongea et ne le lâcha plus de la soirée. Le lendemain paraissait l’article dans Le Figaro.

A un journaliste, Maeterlinck précisera qu’il n’était point à Paris ce jour là : "j’habitais Oostacker, qui veut dire champ oriental, près de Gand."

Maurice Maeterlinck a décrit lui-même, dans les "Bulles Bleues", la stupeur qui s’abattit sur la table familiale quand on y lut, à l’heure du déjeuner, l’article d’Octave Mirbeau. Ce fut comme "un coup de foudre ébranlant la maison" dans une atmosphère rebelle à tout envol de la pensée. Son père dit : "On doit se fiche de mon fils." Dans la ville de Gand les gens pensaient : "Attendons la réaction, il y aura sûrement un démenti, c'est une farce que l'on a jouée au petit Maeterlinck." "Seul, je savais bien que ce n'était pas une farce et qu'il n'y aurait pas de démenti, parce que je connaissais déjà la fougue enthousiaste et généreuse de Mirbeau. Ce qu'il y a de plus curieux dans l'histoire, c'est que je n'avais même pas envoyé le livre à Mirbeau. C'est Mallarmé qui lui avait communiqué son propre exemplaire." "On se rua chez les libraires où l'on ne trouva rien. Songez donc, le livre avait été tiré à quarante-cinq exemplaires sur les presses d'un ami, et l'on n'avait pas gardé la composition, pour une raison bien simple ; cet ami disposait de si peu de caractères que lorsqu'on avait composé quelques pages, on devait les tirer aussitôt pour distribuer à nouveau les caractères. Je me souviens que c'est moi qui tournais la roue. Le livre fut ensuite repris par Lacomblez." Et de penser : "Je me sens tellement gâté par le sort qu'à présent je suis dans les transes. Et je me demande chaque jour quelles effroyables douleurs me réserve le destin, après m'avoir trop tôt accablé de ses dons."

On oublie que Iwan Gilkin dans La Jeune Belgique,   l’avait déjà analysé, avec une sorte de divination, comme un jeune génie éclos, présentant l'ouvrage comme "une œuvre importante qui marque une date dans l’histoire du théâtre contemporain."

 

M

Vers 1890 cabinet de travail de M. Maeterlinck à Gand
 

De "Princesse Maleine" Maurice Maeterlinck dira cependant à Grégoire Le Roy dès le 4 octobre 1890 : "J'en ai assez de cette gloire en toc, à  la Rollinat, pour une shakespitrerie qui me dégoûte carrément aujourd’hui. […] Il faut avouer que c'est dégoûtant à la fin, quand on songe que des poètes comme Villiers et Barbey n'ont jamais rien eu, et qu'un gamin comme moi occupe un tas de journeaux (sic) de sa pauvre personne qu'on ferait mieux de laisser au repos"   

On se rapproche là de l’analyse faite par le lecteur de l’éditeur anglais Heineman, ami de Harry : "La Princesse Maleine"  est le plus révoltant plagiat shakespearien que j’aie jamais rencontré. Je ne puis concevoir comment qui que ce soit, sous le soleil, ait eu la monumentale audace de présenter un tel drame comme une œuvre personnelle."

Maurice Maeterlinck précisera encore à Léon Dommartin qu’il l’a toujours "assez médiocrement estimée."

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